Co-écrit par la super équipe Anishinaabekweg 4Rs de Lacey Dawn Hawranik et Jess Bolduc.
Au cours de la dernière année, 4Rs a travaillé sur le développement et la mise en œuvre d’un programme axé sur la réconciliation. Ce programme s’adressait à un groupe de personnes travaillant sur le terrain et dans la gestion d’organismes dans les secteurs jeunesse et bénévole. Ce groupe comprenait également des fonctionnaires du ministère qui finançait le travail de ces organismes. Cette communauté d’apprentissage, comme nous l’appelions, s’est réunie chaque mois pour écouter des voix et découvrir des perspectives autochtones. Ces rassemblements devaient permettre aux membres de développer leur capacité à évaluer le travail de leurs organismes auprès des jeunes et des communautés autochtones et de comprendre comment ils pourront bonifier leurs programmes afin d’encourager les efforts de réconciliation menés par les Autochtones. Nous espérions qu’en décentrant les attentes envers une conception de programmes à l’occidental et en centrant la pédagogie autochtone, les participants et participantes puissent porter un regard plus profond sur leurs propres efforts comme alliés, tant sur le plan personnel que professionnel.
Pour notre équipe, le processus de création d’une expérience d’apprentissage efficace en ligne portée par un sens de communauté fut une expérience aussi enrichissante que laborieuse. Après tout, ce processus s’est déroulé en pleine pandémie qui a affecté nos vies à tellement d’égards. Nous tenions donc à faire partager quelques-unes de nos réflexions sur ce processus, les défis que nous avons rencontrés et les leçons que nous avons tirées en lien avec le travail d’allié, l’avenir de la réconciliation et le travail bénévole. Notre démarche s’inscrit dans la volonté de créer des structures relationnelles qui vont au-delà des mots-choc et de bonnes intentions, et qui soutiennent notre capacité collective à réaliser des changements structurels et systémiques. Ce qui suivra n’est peut-être ni nouveau ni novateur. Cependant, cette réflexion est importante pour notre processus d’apprentissage.
Une réconciliation digne de ce nom doit centrer les expériences autochtones
Pour soutenir le parcours d’apprentissage en ligne des participants et participantes, nous devions prendre le temps d’approfondir leur compréhension de ce que les communautés autochtones demandent lorsqu’elles appellent les alliés à assumer leurs responsabilités dans le contexte de la réconciliation. Pour notre équipe, une réconciliation digne de ce nom est impossible sans centrer les expériences autochtones. Si la réconciliation est considérée exclusivement comme un travail de développement de relations entre Autochtones et non-Autochtones par l’éducation de ces derniers, elle risque de faire du tort aux communautés autochtones. Et c’est sans parler de l’occasion manquée pour faire un véritable travail systémique. Pour nous, il était évident que nous avons besoin de réfléchir à ce qui manque à l’actuelle conversation sur la réconciliation et à ce qui empêche les gens de passer à l’action, que ce soit sur le plan individuel, organisationnel, communautaire ou systémique. Cette réflexion devait aussi porter sur nos propres méthodes afin de cerner dans quelle mesure elles permettent (ou ne permettent pas) de centrer le savoir et les expériences autochtones. Cette réflexion s’imposait afin de ramener la vérité au centre de nos intentions, et de reconnaître et de faire valoir la sagesse présente dans les systèmes de savoir autochtones.
Passer du « voyeurisme de traumatismes » aux gestes concrets
L’un des objectifs que notre équipe avait définis pour la communauté d’apprentissage était de renoncer à participer à ce que nous appelons le « voyeurisme de traumatismes » afin de nous concentrer sur l’adoption d’actions concrètes. Car malgré un appétit insatiable pour les histoires et traumatismes vécus par les Autochtones, nous constatons avec stupéfaction l’absence de connaissances sur leurs réalités et expériences actuelles. Certaines personnes participant à la communauté d’apprentissage expliquaient que cette occasion était pour elle la première d’entendre parler de l’ampleur des répercussions du colonialisme. Pour elles, les histoires relatées par les jeunes autochtones furent un choc. Évidemment, cette réalité contraste avec ce que des générations de jeunes autochtones réclament haut et fort depuis des années. Sachant que les problématiques, et leurs conséquences, ont été racontées à de maintes reprises, il faut se demander pourquoi nous n’avons toujours pas fait plus de progrès.
Les conversations sur la réconciliation et le rôle des alliés tournent souvent autour des expériences antérieures terribles. Et si ces conversations passaient complètement à côté des efforts de reconstruction des peuples autochtones et nous empêchaient de prendre conscience des systèmes coloniaux qui continuent d’opprimer nos communautés? Si nous parlons uniquement de l’histoire, des préjudices subis et de la relation avec les non-Autochtones sans tenir compte de la profondeur des modes de vie autochtones, il sera difficile pour les alliés de saisir l’ampleur de ce qui a été perdu et doit être rebâti. L’inclusion et la reconnaissance sont importantes. Toutefois, ce que nous demandons aux non-Autochtones, c’est de se tenir à nos côtés pendant que nous travaillons à reconstruire nos familles, nos langues, nos chansons, nos récits, nos systèmes épistémologiques, pédagogiques, scientifiques et de gouvernance, nos relations, nos terres et, tout simplement, une bonne vie.
« Dans le travail avec 4Rs, en plus de mon éducation et de ce que j’apprends ici, je constate que les non-Autochtones veulent faire partie de la solution. Sauf qu’il y a une absence flagrante de compréhension qui doit être comblée avant de penser à offrir des solutions. »
– Dani Lanouette, Gestionnaire des communications et des soins communautaires
La réconciliation n’est une priorité qu’en absence de choix
Nous recevons souvent des demandes provenant d’organismes ou de ministères gouvernementaux pour organiser des ateliers ou d’autres occasions d’apprentissage s’inscrivant dans leurs « objectifs » de réconciliation. En même temps, notre expérience montre que beaucoup de personnes à qui on donne le choix préfèrent passer outre à ces occasions d’apprentissage. Et cela est vrai même lorsqu’on leur offre une expérience sur mesure censée les aider à développer des capacités et des solutions pour résoudre les problèmes qui les concernent directement. Selon notre expérience, la volonté d’engagement est particulièrement limitée chez les colons blancs et chez les personnes dans des positions de pouvoir et d’influence (ce sont souvent les mêmes personnes). L’engagement est souvent plus prononcé chez les personnes avec des identités marginalisées et intersectionnelles et chez les personnes occupant des postes en première ligne et ayant peu d’influence sur la culture organisationnelle, les décisions de financement, le développement de politiques et de programmes, etc. De toute évidence, dans le modèle organisationnel hiérarchique, le fait d’avoir le choix de se retirer n’aide en rien la cause des peuples autochtones. Au contraire, il contribue grandement à l’épuisement du personnel responsable des programmes. Après avoir consacré des heures à la conception d’une expérience efficace et pertinente, l’équipe 4Rs a été déçue de constater que certaines personnes n’étaient pas disposées à réserver ne serait-ce que quelques heures par mois pour s’investir dans ce travail avec nous.
La fragilité blanche, un phénomène qui continue de nous (PANDAC) compliquer la vie
Outre les personnes non disposées à faire de la réconciliation une priorité, nous avons été témoins de colons blancs qui utilisent leurs sentiments de honte et de culpabilité ou leur peur de dire la mauvaise chose comme prétexte de se retirer de la conversation ou de ne pas y participer. Ces personnes ont alors critiqué le processus de facilitation ou se sont abstenues de participer avec sérieux de peur de placer un mot inapproprié ou d’avoir l’air ignorantes ou racistes. Ou bien elles ont dépersonnalisé le travail et les problèmes afin d’éviter d’être confrontées à leurs propres histoires et comportements. Autrement dit, même dans un espace d’apprentissage encadré, certaines personnes continuent de trouver des excuses pour ne pas faire le nécessaire et saisir ces occasions de croissance personnelle et de transformation organisationnelle. Il est important de nommer ces situations pour ce qu’elles sont, soient une fonction de privilège et un abus de rang et de pouvoir. Ces personnes tentent alors de centrer leur malaise plutôt que les expériences de violence réelles vécues par les Autochtones et d’autres communautés racisées.
Bénéficier d’un privilège, c’est d’avoir le choix d’éviter le malaise, de faire le minimum, de garder le silence, de préférer l’ignorance et de ne prendre aucun risque. C’est un choix que les Autochtones n’ont que très rarement.
Signe de l’ironie, le travail de réconciliation repose encore majoritairement sur les Autochtones
Le travail de réconciliation continue d’être un travail d’exploitation puisque tous les efforts d’éducation, de sensibilisation, de création de relations, et de lutte pour la justice sont menés par les Autochtones. Il semble que pour beaucoup de personnes, l’expression « dirigé par des Autochtones » signifie que les Autochtones sont responsables de tout : prononcer la reconnaissance territoriale, donner des leçons d’histoire et réclamer des changements de politiques. Il semble que, pour changer leurs comportements ou mettre à profit leur pouvoir et leur influence, certaines personnes s’attendent encore à recevoir des instructions claires et bienveillantes sur la façon de pratiquer la réconciliation pour qu’elles « s’y prennent comme il faut ». Ce désir d’être pris par la main et de se faire réconforter draine l’énergie des PANDC qui occupent cet espace avec des actions concrètes et des offres pour créer ensemble des programmes éthiques et atteindre l’équité pour les communautés autochtones qu’elles soutiennent. Il s’en suit un cercle d’éducation perpétuel des colons blancs qui limitent leur apprentissage à la sphère intellectuelle sans jamais le mettre en pratique ou participer à créer les solutions dont nous avons tant besoin. Pire encore, certaines personnes se déclarent alliées, mais ne font qu’accumuler des connaissances sur des enjeux autochtones pour leur propre bénéfice et leur avancement social ou professionnel. Tout au long du processus, le travail repose de façon disproportionnée sur les épaules des Autochtones. Cette réalité mènera à notre épuisement si nous continuons à satisfaire les besoins des autres au lieu de nous occuper des nôtres. Un aspect important de la réconciliation consiste donc à reconnaître la réalité que vivent les Autochtones tout en faisant le travail pour les autres.
La réciprocité, l’élément manquant des 4Rs
Dans l’espace virtuel, nous avons souvent l’impression que nos conversations manquent de réciprocité. Cette absence nous limite dans notre capacité à générer ensemble de nouvelles idées et de nouvelles connaissances. Malgré tout le soin et l’intention que les Autochtones mettent à créer des espaces virtuels pour favoriser l’apprentissage des non-Autochtones, nous sommes conscients que nous n’arrivons pas encore à créer ensemble. L’expérience de la communauté d’apprentissage nous a montré que bien que certaines personnes soient prêtes à s’investir, d’autres restent silencieuses lors des conversations, n’activent jamais leur caméra, font d’autres choses ou participent de manière passive. Cette réalité a poussé notre équipe à la réflexion portée par son désir d’apprendre par la voie des relations, des récits et des expériences. Quelle est l’influence potentielle du rôle d’allié une fois le travail d’éducation terminé et arrivé à l’étape où les non-Autochtones se joignent au processus de cocréation pour trouver des solutions qui répondent aux besoins et aux réalités des jeunes et des communautés avec lesquels nous travaillons? De toute évidence, ce besoin de cocréation et d’apprentissage collaboratif n’a rien à voir avec le fait de s’approprier des connaissances et des idées, ou de monopoliser ou d’occuper trop d’espace dans une conversation et les actions qui s’en suivent.
« Le travail de réconciliation doit permettre de former de meilleurs alliés tout en respectant les peuples autochtones pour ce qu’ils sont. »
– Jess Bolduc, directrice générale de 4Rs
Des résultats à la hauteur de nos efforts
À 4Rs, nous faisons notre possible pour embrasser les complexités inhérentes aux expériences et aux conversations transculturelles. Nous comprenons que notre vie est un parcours d’apprentissage et que nous créons, et changeons, des relations toute notre vie durant. S’approprier sa propre expérience dans le contexte de notre travail collectif de réconciliation, cela veut dire que nous obtenons des résultats à la hauteur des efforts que nous avons investis. Et puisque d’autres bénéficient de notre présence et de nos intentions, nous créons une boucle de réactions qui favorise l’apprentissage génératif et la réciprocité. Alors, au-delà de ce que nous faisons, c’est la façon dont nous le faisons qui provoquera le plus grand changement. C’est avec cette idée en tête que nous tenons à souligner des éléments marquants de notre expérience avec la communauté d’apprentissage. Il y a d’abord le soutien des personnes de couleur envers d’autres personnes de couleur. Nous avons aussi été marqués par ce que nous avons reçu après avoir partagé et offert avec humilité nos histoires respectives. Pour nous, cette expérience s’est conclue sur le sentiment d’avoir vécu une occasion exceptionnelle de croissance et de décolonisation personnelles. Pendant cette expérience, nous avons pu inspirer et mettre au défi les participants disposés (y compris des colons blancs) à apprendre pour élargir leur perspective culturelle dans le contexte de leur propre vécu.
Quel chemin devons-nous prendre à partir d’ici?
Pendant la dernière année, notre équipe a réfléchi à différentes façons de concrétiser la cocréation. Aujourd’hui, nous vous proposons les lignes directrices que nous avons utilisées avec la communauté d’apprentissage pendant cette période. Toute personne qui souhaite s’investir avec plus d’authenticité dans vos efforts pour la justice autochtone pourra se servir de ces lignes directrices et les appliquer à sa façon.
Faire face à la vérité – La réconciliation est trop souvent abstraite, vague et générale. Nous devons faire face à la vérité concernant la manière dont les histoires de colonisation ont préparé un présent préjudiciable et non sécuritaire pour les jeunes autochtones.
Une approche intersectionnelle qui tient compte des traumatismes vécus – Nous devons tenir compte de la situation des différentes communautés qui se joignent à la conversation et ancrer notre travail dans le respect et l’humilité. Nous devons prendre conscience des traumatismes intergénérationnels et des répercussions de la violence coloniale, non seulement sur les communautés autochtones.
Apprentissage centré sur les Autochtones – Les personnes alliées profiteront davantage de leur expérience d’apprentissage si elles se familiarisent avec d’autres façons de savoir et d’apprendre. Pour ce faire, il faut remettre en question et réfuter l’homogénéisation du savoir autochtone, en plus d’exprimer et de diffuser de manière respectueuse la culture autochtone.
Créer des espaces sûrs pour les facilitateurs et des espaces de courage pour les participants — Affronter le racisme et les préjugés inconscients est un travail dangereux. Comme Autochtones offrant un contenu qui parle de réconciliation, nous cherchons à créer des espaces de responsabilité et de vulnérabilité. Dans ces espaces, les intentions comptent, et le partage réciproque de la sagesse est mis de l’avant de sorte à développer ensemble de nouvelles connaissances et perspectives.
Un regard honnête et sincère sur nos sentiments limitants — En acceptant nos émotions liées à la peur, à la culpabilité, à la honte, à la fierté, à la sécurité, au sacrifice et autres, nous serons en mesure de participer à la discussion en faisant davantage preuve de responsabilité, de compassion, d’empathie et de compréhension.
Contester la suprématie blanche — Nous devons accepter notre malaise par rapport à ce sujet et le considérer sous un angle nouveau pour y voir un résultat désirable de la décolonisation et un indice positif de notre croissance personnelle. Pour nous, les personnes noires, autochtones et de couleur, c’est la possibilité de reconnaître dans quelle mesure nous avons peut-être profité des systèmes de suprématie blanche et continuons à les perpétuer dans nos vies professionnelle et privée.
Une invitation à créer des relations réciproques et à long terme — Notre objectif n’est pas seulement d’éduquer les alliés et alliées au sujet de la réconciliation, mais de les faire participer activement. Nous espérons les voir aller au-delà d’une exploitation passive et transactionnelle du contenu. Nous espérons les voir participer à la communauté comme membres responsables qui agissent dans un esprit de réciprocité.